dimanche 12 juillet 2015

Un 30 Juin au Congo

Il y a 45 ans, le Congo-Kinshasa se libérait du joug belge après 75 ans d’histoire coloniale. Fête de l’indépendance, le 30 Juin représente donc un jour important pour tous les Congolais. L’occasion idéale de manifester sa joie à travers les chants et la danse !

Certains en profitent pour faire d’une pierre deux coups en fêtant en même temps quelqu'autre événement. C’est le cas de Beaugos, pisteur WWF, qui en ce jour célèbre son premier mariage au village de Makaa, non loin de Mbee. 

Etant membre du WWF, je suis cordialement invitée, de même que l’ensemble des pisteurs qui m’accompagnent à la fête. A mon arrivée, je découvre une petite place colorée de multiples pagnes, aménagée de tables, chaises et canapés à l’ombre d’un arbre.

Les invités tardent, le maître de cérémonie s’impatiente. J'en profite pour visiter les fourneaux et rencontrer les cuisiniers. Quand enfin tout le monde est là, chacun montre son invitation avant d’être installé à sa place. 

Fourneaux où se prépare le repas de mariage
Cuisiniers du mariage

Vêtus harmonieusement de costumes taillés sur mesure, Beaugos et sa future femme, Nicole, s’attablent à leur tour après un petit défilé autour de l’assemblée. S'ensuivent quelques discours ponctués d’applaudissements et, sans plus de cérémonie, les deux jeunes gens se trouvent officiellement mariés.

On m’explique qu’il existe ici 3 types de mariage. Les mariages religieux et civils, que l’on connait en Occident, et le mariage coutumier que l’on célèbre aujourd’hui. Ce dernier permet d'officialiser le couple auprès de la communauté villageoise et du chef de terre.

Les mariés: Beaugos, pisteur WWF et Nicole

Beaugos et Nicole étant maintenant mari et femme, les festivités peuvent commencer! Les invités profitent d'un copieux repas: haricots, brochettes de boeuf et traditionnels chikwangue et pondu. 

Quand enfin tout le monde est rassasié, les danseurs entrent en piste. 




Plus tard dans l’après midi, nous rentrons à Mbee où se fête l’indépendance du pays. Les filets de but et les maillots sont de sortie pour un véritable match de foot !


A l’entrée du village débutent pendant ce temps les premières danses traditionnelles. Au rythme des percussions, les gens se dandinent de plus en plus nombreux. Un homme muni d’un sifflet orchestre la chorégraphie : d'un côté de la piste, quelques couples s’avancent progressivement jusqu'à atteindre une lignée de danseurs du côté opposé qui attendent qu'une place se libère.


Pendant plusieurs heures, les pieds tapent encore et encore jusqu'à soulever un épais nuage de poussière.


Les danses durent jusqu'à la tombée de la nuit. La foule se disperse alors pour continuer la fête en petits groupes aux quatre coins du village, jusque tard dans la nuit... Les Congolais méritent décidément bel et bien leur réputation de savoir faire la fête!

lundi 22 juin 2015

Opération bikomboso

21 Juin 2015
Le jour n'est pas encore levé qu’une information brutale nous arrive de Mbanzi : une femelle bonobo vient d’être capturée. Le braconnier, visiblement non-au fait des peines encourues pour un tel acte (8500$ d’amende et 10 ans de prison), la détient vivante. Les rumeurs commencent déjà à fuser : la femelle serait pleine ; un mâle adulte aurait tenté de s’interposer entre le braconnier et elle ; le coupable réclamerait de l’argent pour sa remise en liberté. 

Ni une ni deux, une équipe d’intervention se met en place : Papa Jean, chef de base ; Jordan Kimball, chef d’équipe pour l’un des projets du WWF (CAFEC) ; Emma, volontaire; quelques membres de l’équipe permanente de la base et moi-même, responsable du suivi éléphants/bonobos dans la zone concernée. 

Première escale : la station de police de Mbanzi. Le responsable est en déplacement, seul un officier resté sur place assure ses fonctions. Celui-ci semble totalement impuissant face à la situation de crise qu’il doit gérer. Nous nous rendons en sa compagnie chez le braconnier. En arrivant sur place, un essaim de curieux s’attroupe autour de notre petite escouade et nous suit jusqu’à la maison dans laquelle est détenue le bonobo, elle aussi cernée de dizaines de paires d’yeux. 

Le premier contact s’avère quelque peu houleux. Le braconnier, qui empeste l’alcool, semble intimidé par notre nombre et la présence de l’uniforme de police et des ostensibles menottes. Dérangés par le brouhaha de la foule, nous entrons dans la maison pour discuter et découvrons, dans un coin, une boule de poils noire, totalement recroquevillée sur elle-même, sanglée à la taille, immobile. J’aurais souhaité une première rencontre dans d’autres circonstances, me dis-je… 

Papa Jean mène l’opération en interrogeant le braconnier et en traduisant du Lingala au Français. Toujours très calme et diplomate, le savoir faire de notre chef semble apaiser le chasseur. Celui-ci présente des arguments improbables pour justifier son délit : le bonobo se serait accidentellement pris dans l’un de ses pièges à gibier. Plutôt que de relâcher l’animal, il aurait préféré le ramener pour vérifier si des soins s’imposaient. A priori il s’agirait donc d’un simple geste attentionné, mais loin de convaincre notre équipe. Le braconnier se montre prêt à coopérer en laissant l’animal recouvrer sa liberté. Nous apprendrons plus tard qu’il espérait originellement vendre l’animal pour la modique somme de 1000$ au WWF. Un comportement régulièrement observé chez les chasseurs du coin qui réclament au WWF de l'argent en échange de libérer leur butin. Malgré sa coopération, le braconnier aura probablement affaire à la justice: on ne capture pas impunément une espèce aussi menacée que les bonobos.

Nous tentons d’abréger la discussion qui s’éternise et de passer rapidement à la question de remise en liberté de l’animal. Le temps joue contre nous : plus nous attendons, plus le risque de contamination d’une maladie entre hommes et bonobo augmente et plus la femelle, qui attend effectivement un petit, présentera des séquelles de ce traumatisme. Il est d’autant plus urgent de la relâcher que si nous attendons plusieurs jours, la situation risquerait de prendre de l’ampleur et de remonter aux oreilles de Kinshasa. Et si l’administration s’en mêle…

Nous cherchons le meilleur moyen de transport pour l’animal. Nous optons finalement pour un simple sac suspendu à une branche.

Reste à savoir qui ira en forêt libérer l’animal. Nous débattons longuement entre membres du WWF. La question est de savoir s'il est prudent que le braconnier, qui semble manipuler l'animal aisément et pourrait donc le transporter plus facilement que quiconque, se joigne à l'expédition. Nous décidons finalement de nous passer de ses services, à la suite de quoi il nous jette, enragé: "Peu m'importe, pour le nombre de bonobos que j'ai déjà tué!".

L’équipe de sauvetage est donc constituée : l’officier de police, le chef de localité et son adjoint, 2 porteurs, les deux pisteurs de Mbanzi : Papa Deny et Junior et moi-même.




Comme il est de coutume de longtemps discuter, le temps file à toute vitesse et je sens que si nous ne partons pas rapidement, nous serons rattrapés par la nuit! Les deux porteurs étant prêts, je lance donc la marche dans l’espoir que les autres suivront rapidement. Nous débutons à 3 l’expédition en savane et sommes rejoints peu à peu par tous les membres de l’équipe: l'opération de sauvetage est lancée !

Si ce n'est une petite tentative d’évasion à travers l’un des trous d’aérations du sac, la femelle se montre calme malgré les conditions de voyage. Après une marche sans encombres à quelques 7 km du village, nous voici suffisamment loin de Mbanzi et proche du lieu de capture pour relâcher l'animal. Une photo de groupe pour immortaliser l'événement puis Junior, toujours très volontaire, se désigne pour ouvrir le sac.


Quelques secondes après ouverture, la femelle file ! En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la voici grimpée en haut d’un arbre, hors d’atteinte de ces bipèdes qui l’ont tant apeuré ces dernières heures.

Elle nous observe quelques brèves minutes avant de partir au loin à travers la canopée. Nous espérons, confiants, qu'elle retrouvera rapidement les siens.

De retour au village nous croisons un autre chasseur revenu de forêt le sac plein. Une fois encore l'homme ne semble pas au courant qu'il transporte des espèces protégées (crocodile et perroquets). Le braconnier souhaite vendre son butin à Kinshasa. Les animaux ainsi capturés transiteront probablement vers l'Europe ou encore l'Amérique pour répondre à la demande florissante du marché d'espèces tropicales. 

Partagée entre le sentiment de fierté d'avoir participé à libérer un bonobo et la tristesse de la réalité, je rentre songeuse à la base mais plus motivée que jamais pour continuer le travail.

lundi 8 juin 2015

Mbee (2)

A Mbee débute une nouvelle phase importante du projet : la création de nouveaux transects visant à estimer la densité de bonobos. Ces derniers étant difficiles à observer visuellement, nous recourons à une méthode indirecte très utilisée chez les primates en nous basant sur l’observation des nids. Ceux-ci sont confectionnés quotidiennement par les bonobos. Connaissant leur nombre, la fréquence à laquelle ils sont produits et leur taux de décomposition, nous en extrapolerons ensuite une densité d'animaux.

Comme à Mbanzi quelques semaines plus tôt, notre équipe commence donc l'ouvrage, boussole et machettes en main. Le travail s’avère de longue haleine car la végétation reste très fermée: notre avancée se limite à quelques centaines de mètres par jour !

Phasme

Il règne une atmosphère de quiétude à Mbee où il est agréable de se promener en rentrant de forêt. Chacun vaque lentement à ses affaires: les femmes tressent des nattes, récoltent le manioc, pilent fufu et pondu, préparent la chikwangue et autres mets. Les hommes palabrent au pied des orangers ou bien encore confectionnent des briques de terre pour ériger leur maison. Les enfants rient, chantent et jouent entre deux demi-journées d'école. Celle-ci est parfois interrompue par la pluie qui s'infiltre dans les bâtisses, obligeant professeurs et élèves à rentrer chez eux.


Mama Pauline cuit dur pain au four à bois

Rodin prépare une noix de coco


L'un des bâtiments de l'école de Mbee

Terrain de foot de Mbee où jouent quotidiennement les enfants

dimanche 7 juin 2015

Changement de cap

Samedi 16 Mai

Le projet PICBOU connait un brusque changement d’organisation : les deux principaux responsables décollent vers l’Europe pour une durée de plusieurs mois. Nous devrons donc, à partir de maintenant, gérer à distance le planning au grès de notre connexion internet. Celle-ci se veut pour le moment d’humeur lunatique, espérons qu’elle se stabilisera. Papa Jean, le chef de base, est heureusement de retour pour nous aider à faire face à cette transition délicate.

Du côté de Mbanzi nous débutons un nouveau projet. Objectif : étudier les variations temporelle et spatiale des ressources alimentaires des éléphants et bonobos.  En d’autres termes : quand et où les fruits et plantes consommées par ces deux espèces sont disponibles ? Ces résultats nous permettront notamment de mieux comprendre la distribution et les mouvements de ces animaux.

Décamètre et GPS en main, nous partons donc à la recherche des plantes les plus consommées par ces espèces. N’ayant pas la fibre botaniste, notre petite équipe fait appel à l’aide d’un autre pisteur, dénommé Pala, spécialiste en la matière. Provenant d’une tribu Bateke dont la langue originelle est le Kiteke, et non le Lingala, Pala nous fait bénéficier de son savoir en nous apprenant progressivement à reconnaître les espèces recherchées. 

Chaque arbre se voit mesurer son DBH (Diamètre à Hauteur de Poitrine)


Mosio en Kiteke (Musanga cecropioides)
La forêt recèle de nombreux trésors bien connus des pisteurs. Pour y accéder, il faut cependant braver parfois certains dangers! Les ruches d’abeilles, très convoitées pour leur qualité nutritive, en sont un bel exemple. Mais quelques piqûres n’effraient pas les pisteurs qui s’aventurent à décrocher le nid de ces rancunières guerrières.


Parallèlement au travail en forêt, la vie à Mbanzi est paisible malgré l’arrivée de la saison sèche, mi-Mai, qui s’accompagne parait-il de quelques pénuries en nourriture.


Toujours à l'affût du moindre signe de vie, je découvre avec émerveillement deux espèces aussi amusantes que discrètes: le caméléon et le bousier!


mardi 5 mai 2015

Mbanzi (2)

C’est reparti pour une seconde virée à Mbanzi ! Toute une expédition s'organise pour cette nouvelle mission. L’objectif cette fois-ci est de réaliser une étude pilote sur les taux de rencontre avec les traces d’éléphants et bonobos. En d’autres termes: observons-nous beaucoup de crottes, empreintes, nids et autres traces lorsque nous sortons des sentiers battus ?

Au programme donc : 10 jours en forêt pour explorer de nouveaux « transects », c’est-à-dire des pistes linéaires qui suivent un cap préalablement défini.

Notre équipe se compose cette fois-ci de 5 membres. Les mêmes pisteurs qu’auparavant m'accompagnent: Papa Vicky, Papa Deny et Junior, ainsi qu'un jeune équatorien répondant au nom de Lipasa.

Aidée d'un porteur, notre petite escouade se met en route pour s’installer au campement de Matembele, à une dizaine de kilomètres de Mbanzi, au coeur de la forêt.


Alors que nous marchons, Junior me pointe une trace au sol: "Nzoko, mikolo mibale". Des empreintes fraîches d'éléphants! Deux jours seulement que les individus ont foulé le sol où nous marchons! Excités à l'idée de pouvoir rencontrer les pachydermes, nous continuons notre route.

Empreinte d'éléphant
La saison des pluies n’est pas finie : la bâche se révèle être une précieuse amie ! En quelques dizaines de minutes, les pisteurs érigent notre abri de brousse:


Une fois installés, nous débutons le travail. Objectif : tracer 2500 mètres de piste par jour. Nous nous apercevons rapidement que cette estimation est surévaluée. La végétation, complètement fermée, doit être déblayée bien plus que prévu. Traçant à la machette notre chemin, nous avançons successivement en terrain marécageux et forêts de ligneux. S’ajoutent la traversée de multiples cours d’eau ainsi qu’un relief parfois très raide, nous obligeant souvent à dévier notre trajectoire. Boussole et GPS en main, je tente malgré tout de guider au mieux notre équipe afin de tracer des pistes aussi linéaires que possible. 

Forêt de marantacés
Papa Deny apprend à utiliser boussole et GPS
La végétation est parfois trop impénétrable pour avancer
Tout en traçant notre route, nous notons les observations de faune et de présence humaine. De nombreuses pistes de chasseurs côtoient celles du gibier : antilopes, gazelles, phacochères et porc-épics. Nous trouvons plusieurs pièges artisanaux ainsi que de nombreuses douilles de fusil. 

Panier laissé par les pêcheuses
La forêt ne semble pas receler beaucoup de traces fraîches d’éléphants : seules quelques vieilles pistes nous permettent d’affirmer que les pachydermes ont occupé la zone d’étude. Leur arrivée dans la région étant semble-t-il récente, probablement nous faut-il être plus patients. 

Du côté des bonobos, peu de traces également. Suffisamment malgré tout pour confirmer ce que des pièges photos avaient révélé quelques mois auparavant : une petite communauté occupe la zone d’étude. Reste à savoir si ces traces sont suffisamment nombreuses pour estimer la taille de la population.


De façon plus prononcée encore qu’à Mbee, une multitude d’insectes nous assaillent tous les jours. Tels des soldats chargés d’expulser les intrus de la forêt, les fourmis rouges dégradent le matériel, les guêpes attaquent nos provisions, les mouches tsé-tsé boursouflent nos peaux de piqûres, les nzi-nzi (petites mouches) s’insinuent dans nos yeux et nos oreilles. Seule la pluie nous offre un instant de répit. De même qu'à Mbee, les pisteurs font preuve d'une patience inouïe face à ces difficultés.

La vie au camp est paisible mis à part ces quelques tourments. Junior, chargé de cuisiner en notre absence et garder les provisions, nous ravit les papilles quotidiennement. Nos repas alternent entre bananes plantains, fufu, riz, haricots et poissons séchés. Papa Deny, expert en pêche à la ligne, attrape à 2 reprises de beaux (et délicieux!) silures. Papa Vicky quant à lui nous déniche occasionnellement de succulentes plantes sauvages. 

Les "escargots" nécessaires pour appâter le poisson
sont nombreux en forêt
Papa Deny prépare ses lignes au attachant aux hameçons des morceaux d'escargot
Silures pêchés par Papa Deny
Bouillon de poisson à la tomate
Papa Vicky prépare des asperges sauvages
Préparation du fufu par Junior
Sur le chemin du retour je médite sur cette riche expérience. La pénibilité de la tâche m’aura probablement endurcit l’esprit plus que le corps. Le courage des pisteurs, leur persévérance et leur insouciance face à la rudesse du travail m’inspirent un profond respect. Des exemples à suivre donc, pour devenir un vrai guerrier capable d'affronter la forêt! 
Lipasa et Junior
L'ambiance est légère sur le trajet du retour