lundi 22 juin 2015

Opération bikomboso

21 Juin 2015
Le jour n'est pas encore levé qu’une information brutale nous arrive de Mbanzi : une femelle bonobo vient d’être capturée. Le braconnier, visiblement non-au fait des peines encourues pour un tel acte (8500$ d’amende et 10 ans de prison), la détient vivante. Les rumeurs commencent déjà à fuser : la femelle serait pleine ; un mâle adulte aurait tenté de s’interposer entre le braconnier et elle ; le coupable réclamerait de l’argent pour sa remise en liberté. 

Ni une ni deux, une équipe d’intervention se met en place : Papa Jean, chef de base ; Jordan Kimball, chef d’équipe pour l’un des projets du WWF (CAFEC) ; Emma, volontaire; quelques membres de l’équipe permanente de la base et moi-même, responsable du suivi éléphants/bonobos dans la zone concernée. 

Première escale : la station de police de Mbanzi. Le responsable est en déplacement, seul un officier resté sur place assure ses fonctions. Celui-ci semble totalement impuissant face à la situation de crise qu’il doit gérer. Nous nous rendons en sa compagnie chez le braconnier. En arrivant sur place, un essaim de curieux s’attroupe autour de notre petite escouade et nous suit jusqu’à la maison dans laquelle est détenue le bonobo, elle aussi cernée de dizaines de paires d’yeux. 

Le premier contact s’avère quelque peu houleux. Le braconnier, qui empeste l’alcool, semble intimidé par notre nombre et la présence de l’uniforme de police et des ostensibles menottes. Dérangés par le brouhaha de la foule, nous entrons dans la maison pour discuter et découvrons, dans un coin, une boule de poils noire, totalement recroquevillée sur elle-même, sanglée à la taille, immobile. J’aurais souhaité une première rencontre dans d’autres circonstances, me dis-je… 

Papa Jean mène l’opération en interrogeant le braconnier et en traduisant du Lingala au Français. Toujours très calme et diplomate, le savoir faire de notre chef semble apaiser le chasseur. Celui-ci présente des arguments improbables pour justifier son délit : le bonobo se serait accidentellement pris dans l’un de ses pièges à gibier. Plutôt que de relâcher l’animal, il aurait préféré le ramener pour vérifier si des soins s’imposaient. A priori il s’agirait donc d’un simple geste attentionné, mais loin de convaincre notre équipe. Le braconnier se montre prêt à coopérer en laissant l’animal recouvrer sa liberté. Nous apprendrons plus tard qu’il espérait originellement vendre l’animal pour la modique somme de 1000$ au WWF. Un comportement régulièrement observé chez les chasseurs du coin qui réclament au WWF de l'argent en échange de libérer leur butin. Malgré sa coopération, le braconnier aura probablement affaire à la justice: on ne capture pas impunément une espèce aussi menacée que les bonobos.

Nous tentons d’abréger la discussion qui s’éternise et de passer rapidement à la question de remise en liberté de l’animal. Le temps joue contre nous : plus nous attendons, plus le risque de contamination d’une maladie entre hommes et bonobo augmente et plus la femelle, qui attend effectivement un petit, présentera des séquelles de ce traumatisme. Il est d’autant plus urgent de la relâcher que si nous attendons plusieurs jours, la situation risquerait de prendre de l’ampleur et de remonter aux oreilles de Kinshasa. Et si l’administration s’en mêle…

Nous cherchons le meilleur moyen de transport pour l’animal. Nous optons finalement pour un simple sac suspendu à une branche.

Reste à savoir qui ira en forêt libérer l’animal. Nous débattons longuement entre membres du WWF. La question est de savoir s'il est prudent que le braconnier, qui semble manipuler l'animal aisément et pourrait donc le transporter plus facilement que quiconque, se joigne à l'expédition. Nous décidons finalement de nous passer de ses services, à la suite de quoi il nous jette, enragé: "Peu m'importe, pour le nombre de bonobos que j'ai déjà tué!".

L’équipe de sauvetage est donc constituée : l’officier de police, le chef de localité et son adjoint, 2 porteurs, les deux pisteurs de Mbanzi : Papa Deny et Junior et moi-même.




Comme il est de coutume de longtemps discuter, le temps file à toute vitesse et je sens que si nous ne partons pas rapidement, nous serons rattrapés par la nuit! Les deux porteurs étant prêts, je lance donc la marche dans l’espoir que les autres suivront rapidement. Nous débutons à 3 l’expédition en savane et sommes rejoints peu à peu par tous les membres de l’équipe: l'opération de sauvetage est lancée !

Si ce n'est une petite tentative d’évasion à travers l’un des trous d’aérations du sac, la femelle se montre calme malgré les conditions de voyage. Après une marche sans encombres à quelques 7 km du village, nous voici suffisamment loin de Mbanzi et proche du lieu de capture pour relâcher l'animal. Une photo de groupe pour immortaliser l'événement puis Junior, toujours très volontaire, se désigne pour ouvrir le sac.


Quelques secondes après ouverture, la femelle file ! En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la voici grimpée en haut d’un arbre, hors d’atteinte de ces bipèdes qui l’ont tant apeuré ces dernières heures.

Elle nous observe quelques brèves minutes avant de partir au loin à travers la canopée. Nous espérons, confiants, qu'elle retrouvera rapidement les siens.

De retour au village nous croisons un autre chasseur revenu de forêt le sac plein. Une fois encore l'homme ne semble pas au courant qu'il transporte des espèces protégées (crocodile et perroquets). Le braconnier souhaite vendre son butin à Kinshasa. Les animaux ainsi capturés transiteront probablement vers l'Europe ou encore l'Amérique pour répondre à la demande florissante du marché d'espèces tropicales. 

Partagée entre le sentiment de fierté d'avoir participé à libérer un bonobo et la tristesse de la réalité, je rentre songeuse à la base mais plus motivée que jamais pour continuer le travail.

lundi 8 juin 2015

Mbee (2)

A Mbee débute une nouvelle phase importante du projet : la création de nouveaux transects visant à estimer la densité de bonobos. Ces derniers étant difficiles à observer visuellement, nous recourons à une méthode indirecte très utilisée chez les primates en nous basant sur l’observation des nids. Ceux-ci sont confectionnés quotidiennement par les bonobos. Connaissant leur nombre, la fréquence à laquelle ils sont produits et leur taux de décomposition, nous en extrapolerons ensuite une densité d'animaux.

Comme à Mbanzi quelques semaines plus tôt, notre équipe commence donc l'ouvrage, boussole et machettes en main. Le travail s’avère de longue haleine car la végétation reste très fermée: notre avancée se limite à quelques centaines de mètres par jour !

Phasme

Il règne une atmosphère de quiétude à Mbee où il est agréable de se promener en rentrant de forêt. Chacun vaque lentement à ses affaires: les femmes tressent des nattes, récoltent le manioc, pilent fufu et pondu, préparent la chikwangue et autres mets. Les hommes palabrent au pied des orangers ou bien encore confectionnent des briques de terre pour ériger leur maison. Les enfants rient, chantent et jouent entre deux demi-journées d'école. Celle-ci est parfois interrompue par la pluie qui s'infiltre dans les bâtisses, obligeant professeurs et élèves à rentrer chez eux.


Mama Pauline cuit dur pain au four à bois

Rodin prépare une noix de coco


L'un des bâtiments de l'école de Mbee

Terrain de foot de Mbee où jouent quotidiennement les enfants

dimanche 7 juin 2015

Changement de cap

Samedi 16 Mai

Le projet PICBOU connait un brusque changement d’organisation : les deux principaux responsables décollent vers l’Europe pour une durée de plusieurs mois. Nous devrons donc, à partir de maintenant, gérer à distance le planning au grès de notre connexion internet. Celle-ci se veut pour le moment d’humeur lunatique, espérons qu’elle se stabilisera. Papa Jean, le chef de base, est heureusement de retour pour nous aider à faire face à cette transition délicate.

Du côté de Mbanzi nous débutons un nouveau projet. Objectif : étudier les variations temporelle et spatiale des ressources alimentaires des éléphants et bonobos.  En d’autres termes : quand et où les fruits et plantes consommées par ces deux espèces sont disponibles ? Ces résultats nous permettront notamment de mieux comprendre la distribution et les mouvements de ces animaux.

Décamètre et GPS en main, nous partons donc à la recherche des plantes les plus consommées par ces espèces. N’ayant pas la fibre botaniste, notre petite équipe fait appel à l’aide d’un autre pisteur, dénommé Pala, spécialiste en la matière. Provenant d’une tribu Bateke dont la langue originelle est le Kiteke, et non le Lingala, Pala nous fait bénéficier de son savoir en nous apprenant progressivement à reconnaître les espèces recherchées. 

Chaque arbre se voit mesurer son DBH (Diamètre à Hauteur de Poitrine)


Mosio en Kiteke (Musanga cecropioides)
La forêt recèle de nombreux trésors bien connus des pisteurs. Pour y accéder, il faut cependant braver parfois certains dangers! Les ruches d’abeilles, très convoitées pour leur qualité nutritive, en sont un bel exemple. Mais quelques piqûres n’effraient pas les pisteurs qui s’aventurent à décrocher le nid de ces rancunières guerrières.


Parallèlement au travail en forêt, la vie à Mbanzi est paisible malgré l’arrivée de la saison sèche, mi-Mai, qui s’accompagne parait-il de quelques pénuries en nourriture.


Toujours à l'affût du moindre signe de vie, je découvre avec émerveillement deux espèces aussi amusantes que discrètes: le caméléon et le bousier!